«C’est très difficile d’accepter qu’il y a un avant et un après AVC»

Directeur de l'unité cérébrovasculaire du Valais de l'hôpital de Sion et médecin adjoint du service neurologique, le Docteur Christophe Bonvin a répondu aux questions de FRAGILE Suisse.

Directeur de l'unité cérébrovasculaire du Valais de l'hôpital de Sion et médecin adjoint du service neurologique, le Docteur Christophe Bonvin a répondu aux questions de FRAGILE…

Christophe Bonvin

Source de l'image : Christophe Bonvin

FRAGILE Suisse: depuis combien de temps travaillez-vous sur la problématique des accidents vasculaires cérébraux (AVC), respectivement des lésions cérébrales?

Docteur Christophe Bonvin: cela fait 15 ans que je travaille dans le domaine des maladies cérébrovasculaires. Ma formation et mon expérience m’ont permis d’aborder différents aspects de la prise en charge. Je souhaitais développer une unité cérébrovasculaire en Valais et l’Hôpital du Valais m’en a donné l’opportunité.

 

Les patients dont vous vous occupez ont des proches: comment soutenez-vous ceux-ci?

Il y a deux étapes dans la prise en charge des AVC. La phase aiguë survient dans les premières heures et jours après l’événement. Il faut agir vite et avec de gros moyens médicaux pour protéger le cerveau afin d’éviter au maximum les séquelles secondaires. Cette urgence et la lourdeur médicale associée au choc du diagnostic de l’attaque qui affecte l’organe le plus essentiel de l’humain est traumatisant et psychologiquement violent à vivre pour les victimes et leurs proches. La deuxième étape consiste à discuter de la situation et des problèmes individuels avec la famille et le patient pour mieux orienter la rééducation et la réadaptation. Ces 2 termes sont fréquemment confondus à tort mais sont essentiellement différents. On peut rééduquer certaines fonctions perdues mais pour celles qui persistent il faut se réadapter, c’est la clé du «mieux vivre» après un AVC.

 

Quels sont les besoins des proches devant cette situation traumatisante?

Ils varient et diffèrent à chaque étape du processus de reconstruction après l’AVC. Certains se focalisent sur l’origine de la maladie et sa prise en charge, d’autres sur les médicaments, beaucoup s’inquiètent de la récidive et certains cherchent à revenir à l’état antérieur. Notre mission est d’informer, expliquer et rassurer. Après l’AVC, de nombreux patients et leur entourage découvrent des séquelles invisibles insoupçonnées comme une fatigue chronique, des troubles de la concentration ou de l’attention, des modifications du comportement comme l’irritabilité ou l’apathie ou encore des maux de tête chroniques. Ces changements impliquent une adaptation du quotidien et ont souvent des répercussions majeures sur la vie privée, sociale et professionnelle. Il est essentiel d’aborder ces problématiques lors des visites médicales et ne pas se contenter de prescrire des médicaments.

 

En quoi les proches peuvent-ils aider le patient à récupérer?

La plus grande aide est de prendre conscience et d’accepter qu’il y a un avant et un après AVC. Il faut vivre avec quelqu’un de plus ou moins différent physiquement et mentalement. C’est un chemin psychologique qui prend du temps. Sa réussite dépend des ressources et de la résilience de chacun. Certains couples et familles éclatent, des dépressions surviennent mais beaucoup parviennent à la sagesse nécessaire pour accepter et positiver malgré la situation. Il faut arriver à voir le verre à moitié plein plutôt qu’à moitié vide.

 

Comment les professionnels peuvent-ils intégrer les proches dans le soutien à la personne touchée?

Nous proposons aux proches de trouver des astuces pour améliorer le quotidien: motiver sans excès, valoriser les petits progrès, ne pas stigmatiser, comprendre sans juger. Participer à des groupes de parole comme ceux proposés par FRAGILE Suisse, avoir des discussions avec le médecin de famille et suivre des consultations psychologiques intègrent les proches dans ce soutien et les épaulent dans cette tâche difficile.

 

Quelle est la force des proches?

Leur force est d’être présent, d’accompagner, de partager, d’aider et de motiver au quotidien, sans excès. On constate parfois une infantilisation du malade de la part du conjoint ou des enfants, des jugements excessifs sur des changements de vie à adopter comme l’alimentation, l’activité physique ou l’arrêt du tabac. Il faut éviter d’exercer une pression constante sur le patient qui a souvent bien compris sa situation. Changer de mode de vie et s’adapter prend du temps et chacun choisit sa propre route. Celle-ci diverge entre celle choisie par le patient et celle souhaitée par les proches. Les proches rendent possible le «mieux vivre», mais ne doivent pas oublier le mot «vivre». Il faut s’extraire de la maladie et du tout médicalisé pour appréhender un quotidien plus léger et exaltant, fait de rires, de découvertes et d’expériences émotionnellement fortes. Les contraintes liées à l’AVC imposent de planifier et d’organiser le quotidien; c’est la clé pour expérimenter les bons moments de la vie. C’est un besoin vital et aussi une source de guérison à ne pas négliger.

Texte: Sophie Roulin-Correvon