« Le monde est un miracle perpétuel – et moi aussi »

Jeune bernoise de 33 ans, Damaris entend des bruits que personne n’entend et elle voit le monde en double. Depuis son traumatisme cranio-cérébral, ses perceptions sensorielles sont beaucoup plus intenses.

Jeune bernoise de 33 ans, Damaris entend des bruits que personne n’entend et elle voit le monde en double. Depuis son traumatisme cranio-cérébral, ses perceptions sensorielles sont…

Damaris B. avec son appareil photo

Source de l'image : Hanna Bürker

« Le tram qui passe en ce moment dans la rue me déconcentre pas mal », dit Damaris. Malgré mes efforts, je n’entends aucun tram passer. Damaris explique : « Ma lésion cérébrale m’a rendue beaucoup plus sensible aux stimuli. Le filtre qui trie les stimuli en « pertinents placés au premier plan » et en « non pertinents placés au second plan » a disparu de mon cerveau. »

Il y a trois ans, la jeune femme, âgée aujourd’hui de 33 ans, subit un grave traumatisme cranio-cérébral suite à un accident de vélo. Heureusement, elle portait un casque qui lui a sauvé la vie. Damaris n’a gardé aucun souvenir de l’accident. Ses derniers souvenirs remontent à la veille, avant que son monde ne bascule.

La Rega la transporte à l’hôpital où elle est d’abord placée dans un coma artificiel. Ensuite, elle reste un certain temps en coma vigile. Le diagnostic tombe : traumatisme cranio-cérébral grave et plusieurs hémorragies cérébrales. Après l’accident, il se passe un mois dont Damaris ne garde aucun souvenir, mis à part ce qu’on lui a raconté.

Nous nous trouvons dans la vieille ville de Berne, dans une maison de quatre étages où on peut prendre un café, travailler, former des projets et créer. L’espace de travail partagé comprend des bureaux et des ateliers pour les créatifs. Damaris y a une place et elle vient régulièrement pour laisser libre cours à sa créativité et échanger avec d’autres artistes.
 

Une vie désormais plus consciente.

« Les conséquences de la lésion cérébrale sont assez floues », explique Damaris. À son regard, je comprends qu’elle entend quelque chose. J’écoute attentivement mais n’entends rien. Lorsque je regarde par la fenêtre, je comprends: un tram vient de passer. Résolue à voir le côté positif de sa situation, la jeune femme constate : « Une des nombreuses conséquences, c’est que j’entends incroyablement bien ». Ses cinq sens sont devenus beaucoup plus sensibles, mais surtout l’ouïe et la vue. « Mon handicap visuel s’explique plus facilement », dit-t-elle, « Mon œil droit et mon œil gauche voient des images distinctes qui ne peuvent pas se fondre en une seule image. Je vois donc la plupart temps tout en double. » Ce problème disparaît uniquement quand elle regarde droit devant elle. « Je dois simplement marcher la tête haute, et ma vie est pratiquement sans filtre, hashtag #no-filter », sourit-elle.

Damaris a conservé son humour, son optimisme et sa joie de vivre. De plus, elle vit aujourd’hui de manière plus consciente. « Mon nouveau regard me permet de percevoir la beauté dans la vie quotidienne, plus intensément et plus consciemment. Certaines choses, que je ne remarquais pas avant, m’étonnent. Le monde est rempli de choses horribles, mais aussi de belles choses. C’est un privilège de pouvoir découvrir ce qui est beau. » La famille et les amis de Damaris sont un soutien précieux. Sa foi lui donne aussi de la force. Elle fait le plein d’énergie dans la nature, dans un petit village du Tessin où vit sa mère. Elle a toujours été passionnée par la photographie, mais sa lésion cérébrale lui permet de découvrir et d’expérimenter une nouvelle dimension de cet art grâce à « ce nouveau regard » sourit-elle.
 

De nouvelles perspectives

À la surprise de l’équipe soignante, l’état de Damaris s’améliore rapidement malgré la gravité de ses blessures. Ses progrès lui permettent de tenter une reprise d’activité auprès de son ancien employeur, un hôpital de soins aigus. Deux ans plus tard, et après diverses adaptations, il s’avère que Damaris ne peut plus travailler comme infirmière, même en réduisant son temps de travail. Elle doit renoncer à son métier, malgré sa grande volonté et le soutien d’une équipe formidable. C’est un choc. « Ce qui me console, c’est de constater que travailler dans le milieu de la santé est très difficile, même pour les personnes qui ne sont pas tombées sur la tête », dit-elle avec humour.

Photographier est une activité qui l’aide beaucoup : « J’aime fixer ce qui est beau et bien sur une image. » Peu après son accident, Damaris commence sa série continue de photos « Block », pour laquelle elle réalise des clichés en double exposition : « Afin que les personnes qui les regardent puissent s‘imaginer comment je vois le monde. » En 2022, elle participe aussi à l’exposition « INVISIBILE » organisée par FRAGILE Suisse. Elle raconte : « J’ai dû prendre mon courage à deux mains pour poser ma candidature. Mais je suis heureuse de l’avoir fait. C’était une expérience positive. »

La jeune Bernoise découvre FRAGILE Suisse dans la clinique de réadaptation où elle séjourne après son accident : « J’ai commandé tout de suite plusieurs brochures pour moi et mes proches. J’ai pensé que nous en aurions besoin. »
Elle fait aussi appel au service de conseil. « FRAGILE Suisse m’aide à ne pas me perdre dans le monde très compliqué des assurances sociales. C’est un soutien très précieux. » Elle participe aussi à différentes activités en groupe de l’association régionale Bern Espace Mittelland.
 

Gérer la surcharge sensorielle

Notre entretien dure depuis plus d’une heure et demie. La fatigue se fait sentir. « Les stimuli déferlent sur moi, sans filtre, et je dois souvent me battre contre cette marée », explique-t-elle. Elle a besoin de pauses régulières.  Une légère brise soufflant dans ses cheveux peut la perturber. Porter des bouchons d’oreilles et un casque lui permet de réduire fortement les bruits ambiants. « J’ai besoin de périodes de repos et d’une vie conviviale et sociale. Le juste équilibre n’est pas facile à trouver. Je n’y arrive pas toujours. Je n’y arrive que trop rarement », analyse-t-elle, critique. Elle poursuit : « J’aimerais apprendre à être plus généreuse avec moi-même et essayer chaque jour de faire la paix avec ma nouvelle vie. »

Damaris est reconnaissante de pouvoir vivre de façon autonome dans une colocation. Actuellement, elle habite à l’essai dans un monastère : « C’est compréhensible que je recherche désormais le calme et le silence dans ce lieu », plaisante-t-elle. Elle fait actuellement un stage dans le domaine des médias interactifs. Elle photographie et crée : un travail qu’elle aime. Pour Damaris, l’objectif à court terme est sa réinsertion sur le marché du travail primaire. Elle ne sait pas si cela fonctionnera, mais elle est sûre d’une chose : rien ne pourra la faire dévier de son but de sitôt.

Découvrez les œuvres de Damaris sous : dmrsbrgr.com/blog

Texte : Carole Bolliger